LE POÈME DE LA SEMAINE

LE CHANT DES HOMMES

Leurs chants sont plus beaux que les hommes,
plus lourds d’espoir,
plus tristes,
plus durables.
Plus que les hommes j’ai aimé leurs chants
J’ai pu vivre sans les hommes
jamais sans les chants ;
il m’est arrivé d’être infidèle
à ma bien aimée,
jamais au chant que j’ai chanté pour elle ;
jamais non plus les chants ne m’ont trompé.

Quelle que soit leur langue
j’ai toujours compris tous les chants.

En ce monde,
de tout ce que j’ai pu boire
et manger,
de tous les pays où j’ai voyagé,
de tout ce que j’ai pu voir et entendre,
de tout ce que j’ai pu toucher
et comprendre,
rien, rien
ne m’a rendu jamais aussi heureux
que les chants.

Nâzim HIKMET
écrit le 20 septembre 1960
Poème extrait du recueil « Il neige dans la nuit » (NRF Poésie Gallimard)

L’association Le Chant des Hommes a co-produit un CD Audio avec plusieurs poèmes de Nâzim Hikmet, mis en musique par Luis Rigou, Helene Arntzen, Luis Naón, et d’autres compositeurs, en vente au TAC, par email ou par internet.

Nazım Hikmet est l’une des plus importantes figures de la littérature turque du XXe siècle, et l’un des premiers poètes turcs à utiliser des vers plus ou moins libres comme le fit Orhan Veli. Hikmet est devenu, de son vivant, un des poètes turcs les plus connus à l’Ouest et ses travaux ont été rapidement traduits dans différentes langues.

Cependant, dans son propre pays, il fut condamné pour marxisme et demeura en Turquie, même après sa mort, un personnage controversé. Il passa quelque 17 années en prison et baptisa la poésie le plus sanglant des arts. Ses écrits soulignent la critique sociale.

Il est né à Salonique (actuellement Thessalonique en Grèce). Son père, Nazim Hikmet Bey était un fonctionnaire et sa mère, Aisha Dshalila, un peintre. Il était le petit-fils d’un pacha ottoman. Il étudia brièvement au lycée francophone Galatasaray à Istanbul et étudia par la suite même à l’école navale turque — mais fut réformé après son premier embarquement en raison de son état de santé. Durant la guerre d’indépendance, il rejoignit Atatürk en Anatolie et ensuite travailla comme enseignant à Bolu. Il étudia la sociologie à l’université de Moscou (1921-1928) et devint membre du parti communiste turc dans les années 1920.

Après son retour en Turquie en 1928, sans visa, Hikmet écrivit des articles pour des journaux et des périodiques, des scénarios et des pièces. Il fut condamné à la prison à cause de son retour irrégulier mais bénéficia d’une amnistie générale en 1935. En 1938, il fut condamné à 28 ans et 4 mois de prison pour « activités anti-nazies et anti-franquistes »[réf. nécessaire]. Il passa les douze années suivantes en prison, période pendant laquelle il se maria en deuxièmes noces avec Münevver Andaç.

Il reçut le prix international de la paix en 1955. Déchu de la nationalité turque, il termina sa vie en exil comme citoyen polonais. Cette dernière lui a été rendue de façon posthume le 5 janvier 2009, suite à un conseil des ministres reconnaissant que les crimes dont on l’accusait alors ne sont plus considérés aujourd’hui comme tels1. Il mourut d’une crise cardiaque à Moscou et fut enterré au prestigieux cimetière de Novodevitchi, bien que dans un poème testament il écrivît : « Enterrez-moi en Anatolie, dans un cimetière de village / Et si possible, un platane au dessus de moi suffit ».